les voiles de l’incarnation

Mercredi 26 Septembre 2018
Pourquoi y “voit”-t-on si peu clair en naissant ? Pourquoi, parfois, a-t-on aussi tant de mal à incarner ce que l’on voit ? Quels voiles sont là ? karmiques ? Mais, en nature, pourquoi cela ? Pourquoi tant de peine ? tant d’erreur ? tant d’errance ? tant de leurre ? tant de perte ?... Si on évolue bien dans un circuit (samsarique), quelle joie à y demeurer ? Quelle issue constitutive de nous pour y circuler sans plus de souffrance, et donc sans plus de voiles ? Quels droits, quels possibles ? et quels devoirs, quelles contraintes alors ? Se contraindre selon le plan divin, est-ce se rendre libre ? Les voiles : ce qui masque la nature du “plan” dont on fait partie et dans lequel on co-évolue—chacun immergé comme le grain dans la dune de sable.
Je m’immerge difficilement au niveau de la dune. Mes automatismes de naissance me font saisir le vent pour voyager hors sol le plus souvent. Suis-je davantage “voilée” que mes grains-congénères ? Quelque part oui ; et quelque part, non.


Oui, parce que la transparence de l’être ne se dévoile véritablement que dans le flux, parmi les autres grains : l’âme n’est pas solitaire. Non, parce que “je vois” aussi l’organisation changeante des grains d’un point de vue à nul autre pareil : vive, imprévisible, brusque parfois, douce, caressante et progressive aussi. Voir donc, sans être. Parce que “voir” nécessiterait forcément d’être en dehors (?) : le rôle fameux de l’observateur. Ou être, et voir depuis le niveau de l’être—à savoir dans un “savoir-être” fondamental et spontané. Avoir appris cela depuis l’action ; et non depuis la mentalisation ou la simulation (qui au demeurant préparent souvent à l’action).
L’enveloppe sensorielle, le corps émotionnel et l’architecture mentale, sont potentiellement pour nous des obstructeurs, aussi bien que des facilitateurs. Ils sont le passage obligé pour “être” (avec le moins de voiles possibles) ; et ils sont aussi “le cinéma intérieur” (saturé de voiles) qui nous détourne de l’être authentique. En naissant, nous nous incarnons dans un paradoxe ambulant. Et souvent, plus nous voyons “cela”, moins il nous est possible de nous guérir de cela : de nous unifier—non “malgré” cela, mais “en” cela.
Les voiles sont partout... Partout temporaires, partout sujets à projections... d’ombres portées réelles ou chinoises irréelles : on ne sait jamais ; on ne connaît jamais la frontière exacte entre les deux. On prolonge toujours nos perceptions du réel, en les accommodant de nos rêveries sucrées ou épouvantées. C’est la conditions humaine. De savoir qu’on est, par nous-même(s), constamment dupé(s). Nos constructions psycho-sensorielles et -émotionnelles constituent l’arrière plan de soutien de nos vies en manque de cannes et de béquilles : elles sont le filet qui nous rattrape pour assurer la cohérence de notre quotidien. Sans elles, plus de trajectoire (yang), car plus de terrain (yin). Plus d’émergence(s)—à partir de rien. Car il faut bien partir de quelque chose ou de quelque part—d’un point, pour tracer une ligne, et la prolonger dans la continuité ou non de ce qu’elle était avant. Pour créer une tension—relationnelle (là aussi) entre deux positions.
C’est la définition-même de qui nous sommes : “relatifs” ; prisonniers de mouvements à implication double : le voir et l’être—au risque de l’écart et de la désynchronisation (off-line et on-line). C’est juste à accepter—non à commenter. Quitte à l’incarner... ça, c’est autre chose. Car comment “incarner” sans une part d’inconscience ?... ou de présence par le seul corps ? avec son lot de connaissance... et d’ignorance. Comment harmoniser ce que l’on voit (ce que l’on sait) avec ce que l’on est (ce que l’on sent) ?
J’ai trouvé pour ma part le coussin de méditation—qui m’éjecte parfois ! .), mais qui m’incarne aussi souvent... Il y est essentiellement question de synchronisation corps-esprit. Les voiles alors sont “partagés”—dans leur dissolution aussi. On ne bataille plus—avec “le haut”, ou avec “le bas”. On est libre de vivre la relation avec ce qui est, au moment où c’est. Et on est libre (et joyeux) de profiter des émergences synchrones qui ne manquent pas de s’exprimer... une fois les voiles fatigués, usés, dés-épaissis.
Les voiles, ça se défait quand on n’y pense plus ! Quand la pratique “nous chauffe” suffisamment pour que l’on devienne disponible, sensible et intelligible, à tout ce qui vient.
Les voiles, comme les membranes, sont voués à disparaître dans leur aspect opaque et durci ; les voiles, comme les membranes, nous distingueront pourtant toujours tant que nous demeurerons des “unités” (de présence ou de conscience).
Longue vie aux voiles !... devenez alors légers comme l’air, souples comme le vent... Et nécessaires et mystérieux, comme l’ombre l’est à la lumière.

akmi, 26 sept. ‘18 - 13h44

Commentaires