idées

Vendredi 3 Mai 2019
Au terme d'une année et demi d'écriture, je me lance et offre ce recueil à la lecture d'un premier cercle d'initiés.
Au regard des normes littéraires, je ne sais à quoi ressemble cet assemblage de textes écrits au jour le jour. A un journal psycho-philosophique ? A un éphéméride poétique de sagesse ? A du lien intra-personnel—qui entraîne celui inter-individuel.
Il y a le fond : “l'Arbre Relationnel”, dans ses différentes versions—avec un arrière-plan invitant un “modèle affectif et cognitif” dit “enactif” ; et il y a la forme : philo-poétique—sensible, associative et libre.
Il y a l'idée de l'immanence spirituelle : comment s'exprime-t-elle en soi, et avec l'autre ? Et il y a l'expérience incarnée, l'ancrage situé, l'émergence de proximité, altérisée : comment les décrire ?
Cet ouvrage est autant le fruit d'un cheminement de vie—avec ses noeuds symboliques, que la restitution d'une compréhension issue d'une formation libre et assidue en “sciences cognitives” au début des années 2000 (ceci, dans la tradition varélienne *).
Désormais psychanalyste, je poursuis cette recherche dans un cadre expérientiel toujours quotidien—toujours “créatif”, mais cette fois, en sus, également déplacé à l'endroit de l'autre en difficulté—en cabinet de consultation.
anika mignotte (28 février ‘19)
* Francisco Varela (1946 – 2001) - biologiste, neuro-scientifique et philosophe.

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Cet “Arbre”, c’est l’histoire d’une vie et de la Vie.
Son histoire dans la mienne commence en 2000 ; son histoire dans la Vie, c’est la Vie elle-même. Je l’ai moins “produit” qu’il ne s’est “produit” lui-même dans mon existence. Vous le présenter, c’est autant le décrire d’après son schème originel que le visiter au gré de l’opportunité des sujets. Il a réponse à tout... Demandez-moi.
Une 1ère partie du livre “Le Complexe de l’Arbre / L'Arbre Réel / HUMA” le donne à lire selon son ADN technique ; un second volet le développe sur des plans plus secondaires en ce qu’il implique comme compréhension philosophique des questions courantes : sur l’être, la relation, l’origine ou l’action,... L’éthique en somme.
Cet Arbre Relationnel est une “mécanique des fluides”, des flux qui s’attirent, se conjuguent et qui donnent naissance... Il est de forme quaternaire : formalisé en double hélice Tao—dont les dynamiques couplées convergent vers le centre, la finalité “Oméga”.
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La Quadris’k’elle est le petit moteur de l’Arbre Relationnel—composée de quatre atomes :
  • sur l’axe horizontal—de la substance : atome réel-égo-VIE <--> atome possible-alter-NOUVEAU ;
  • sur l’axe vertical—de l’évènement : atome actuel-porteur-TEMPS <--> atome virtuel-chaosmique-VÉRITÉ ;
Définition des 4 pôles :
[ substance manifeste = la matière ] => Le réel / la vie subsiste > Notre lien à nous-même : à l’ego ; à notre incarnation énergético-spatio-temporelle >> notre persona corporelle située ;
[ substance latente = l’information ] => Le possible / le nouveau insiste > Notre lien à la “petite altérité” : celle de “l’autre” en soi ; celle aussi (en polarité avec la matière / le corps) de l’information, des abstractions intellectuelles connaissantes et/ou machiniques >> notre persona empathique et intelligente, notre guidance interne sentiente et consciente par le Soi individuel ;
[ événement manifeste => l’enaction ] => L'actuel / le temps arrive > Notre présence ; la synchronisation holistique (à tous les niveaux de nous) dans l'action courante—nous permettant une adaptation pragmatique à l'environnement ;
[ événement latent = le chaosmos ] => Le virtuel / la vérité existe > Notre lien existentiel à l'Altérité Suprême—via le Soi collectif.

Arbre Relationnel (2001-18) > Quadris'k'elle (2018).
Références à Pierre Teilhard de Chardin, Pierre Lévy, Félix Guattari, Francisco Varela ;
structure de Xavier Sallantin.
Cliquer sur l'image pour l'agrandir.
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A - Synthèse des "idées" fondamentales de l'Arbre Réel (2001-19) -->

I ] La Création est RELATION

1 • Du point de vue de l’axe horizontal : l’égo relationne avec “Lui”—notre Immanent (Ange, Âme ou Soi), part de conscience cosmique originée “nulle part” et en “nul temps”, et finalisée de même.
  • La relation à l’autre —humain, ouvre celle du “petit soi” (“réel”) à l'alter (“possible”) ; et donc, en cela, celle de l'humain à son Ange, Âme ou Soi individuel (“l'Autre” du “petit soi”).
“Nous” —individus, nous accomplissons progressivement dans notre Soi individuel.

2 • Du point de vue de l’axe vertical : “nous” sommes le fruit relationnel, sentient et conscient, de l'interaction entre l’information (“possible”) et la matière (“réel”).
  • La Relation à l’Autre —divin, confère au process évolutionnaire le sens global de son alpha (son origine) et de son oméga (sa finalité) ; donne au Temps le sens de son mouvement, et à “l’actuel” l’axe de son “virtuel”.
“Nous”—humanité, accomplissons lentement notre Soi collectif.

II ] Toute “Synchronie Relationnelle” est AMOUR

L’Amour est le fluide liant la dynamique d’émergence totale du monde : depuis la possibilité des “faire-mondes” spécifiques aux espèces vivantes, jusqu’à celle de “nos faire-mondes” personnels, physiques et psychiques.
L'amorisation synchronisée des liens intra- et inter-individuels est ontogénétiquement et phylogénétiquement “croissante”.

III ] L’évolution converge vers OMÉGA

“Nous” sommes donc une émergence incarnée—auto-organisée sous la double pression d’Amour :
  1. de la relation personnelle à notre Ange —“fusionnée” en Oméga ;
  2. et de la destinée commune à l’humanité —“accomplie” en Oméga ;
Par l’Amour, il y a simultanément montée en puissance de l’Incorporation Informationnelle (cellulaire) et de la Synchronisation Chaosmique (karmique).

La Quadris'k'elle > convergence vers Oméga. (avril '18)

Vers une réalisation doublement convergente en Oméga :
  1. [ Le corps - yin - substance ] Sur des millions d’années de dérive évolutive “physio-sensitive”, la complexification auto-organisationnelle atomique, puis moléculaire, puis énergétique (?), s’intrique avec les paliers de la manifestation du possible (informationnel) dans le réel (matériel—minéral, organique, puis sentient, puis conscient,...).
  2. [ L’esprit - yang - événement ] Sur des dizaines de milliers d’années de dérive évolutive “psycho-spirituelle”, l’actuel noue le rapport subjectif du “sujet” à son espace-temps : celui de l’action et celui de la contemplation ; celui de la synchronisation temps-réel et celui de la descente chaosmique ; celui de l’Immanence et celui de la Transcendance. En cela, l’actuel permet à l’être —humain, l’accueil du virtuel.
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B - Développements consécutifs aux logiques propres de l'Arbre Réel (2001-19) -->

IV ] L’intégration de la COMPLEXITÉ est composite

Kaléidoscope : Intégration composite bilatérale --> Ange et Humain.

La complexité organisationnelle progresse de manière “croissante” des deux côtés de la couture par le Temps présent :
  1. “Nous” —humains, dans notre ontogenèse, sommes la résultante récapitulative de la phylogenèse des espèces vivantes de l’origine de la Vie jusqu’à nous. Nous portons les chromosomes de nos ancêtres. Nous descendons d’une famille généalogique “incarnée”. De ce fait, physiologiquement, nous sommes des organismes génétiquement “composites”.
  2. En parallèle à “nous” (vivants), nos Anges (informationnels) parcourraient eux aussi une évolution phylogénétique et ontogénétique —en réciprocité-miroir à “nous”. Ainsi, peut-être pourrions-nous dire que, là où nous —humains, “nous nous spiritualisons”, eux —Anges, progressivement prennent “corporéité énergétique” ? Et cela, pareillement à nous, de manière “composite” : les Âmes (ou Soi individuels)—associées aux naissances humaines, seraient un “mixage karmique” de vies antérieures—n’ayant humainement rien à voir les unes avec les autres. D’un point-de-vue subtil, le chaînage (ou intrication) informationnel particulier à chaque embryon se constituerait de manière aussi “nécessaire” que le processus cellulaire lui-même—entre gamètes mâle et femelle. Nous hériterions en quelque sorte karmiquement de notre famille d’Âme(s).
Si l’on accorde du crédit à cette “vue de l’esprit”, les questions qui en découlent :
  1. Quand on n’a pas de descendance —pas d’enfant(s), qu’en est-il alors à notre mort ?Disparaît-on à jamais—aussi bien de chair que de Soi ? sans prolongement de soi aucun—ni organique (vivant, matériel) ; ni subtil (angélique, immatériel) ? Ou bien, dès cette vie-ci, les legs informationnels de “notre Ange” à l’humanité fécondent-ils aussi de “nouvelles Âmes”—inter-dépendantes de celles “naissantes” à chaque reproduction humaine ?
  2. De leur côté, si les Anges vivent une communauté, ont-ils des échanges ? En cela, les Âmes co-évoluent-elles aussi par elles-mêmes ?

V ] Notre ESPACE-TEMPS “se meut” selon nos affections

A l’échelle de l’homme, “on vit” l’Espace et le Temps. Ceux-ci sont dits “relatifs”. On le sait, l’Espace-Temps peut se distendre, s’infléchir, se courber—à l’occasion de chaque “gravité” stellaire ou planétaire.
  1. Actuellement, il semblerait que notre Espace “se dilate” (mais, en d’autres temps ou autres circonstances, il pourrait tout aussi bien “se rétracter”) ;
  2. Le Temps suit une direction—celle de sa Flèche indiquant le sens du Passé vers le Présent-Futur (mais celle-ci pourrait être réversible : à savoir, également tournée du Futur vers le Présent-Passé—avec des pointes de synchronicité pour, depuis l’avenir, nous éveiller et même nous bifurquer vers ce qui nous attend demain). Le Présent pourrait donc subir une double pression—ou “double causalité” : celle de la récapitulation depuis le Passé et celle de la convergence vers le Futur.
  3. De plus, c’est expérientiel : le Temps est “vécu” subjectivement —“éprouvé” différemment selon notre affectation du moment. On vit les évènements de manière plus ou moins “longue” ou rapide”, plus ou moins “étirée” ou “transparente” —selon l’état émotionnel qui nous rencontre sur l’instant.
La couture par le Temps-présent (entre rétention et protention)
—dont "le sentiment" est infléchi par nos éprouvés d'arrière-plan.

Nous vivons surtout le Temps-présent comme une illusion : sa continuité est spécieuse. Tout comme la continuité du “moi”—lequel s’adapte dynamiquement à chacun de ses environnements, change donc en toutes circonstances et n’est finalement trouvé stabilisé nulle part.

“Why do emergent selves, virtual identities, pop up all over the place, creating worlds, whether at the mind/body level, the cellular level, or the transorganism level ? This phenomenon is something so productive that it doesn't cease creating entirely new realms: life, mind, and societies. Yet these emergent selves are based on processes so shifty, so ungrounded, that we have an apparent paradox between the solidity of what appears to show up and its groundlessness. That, to me, is the key and eternal question”. ~ Francisco Varela, The Emergent Self (1995)

La question qui s’impose ici est : “tout” alors est-il disjoint, instable, incertain, et donc “trompeur” par nature ? Par quel truchement la virtualité simultanée, ou superposée, d’un double continuum—spatio-temporel et égoïque—soutient-elle notre capacité à vivre “en cohérence” ? L’Espace et le Temps “passeraient-ils” en fait par nous—notre biais subjectif exerçant sur eux “sa gravité” —donc sa force de déformation “physique” ? Serions-nous le “filtre affectif” (sensible, émotif) de leur générativité ?

“Our hypothesis is that we inhabit a body that is the continual reconstitution of its emergent identities. But the movement that defines this condition is always animated by the lack of something: identity resides nowhere, except in its autonomous constitution, in its own circular processes that self-affirm. Inevitably this autonomous world is always close to breakdown. If life always consists in an activity in relation to what is lacking, [this lack] is also its impulsion, its desire to continue”. ~ Francisco Varela & Amy Cohen (1989)

Incessamment, il y a le sens du “creux”—d’un entre-deux qu’il nous faut absolument combler, de deux rives qu’il nous faut à tout prix relier. Dans ce “fossé”, ce “vide” d’Espace et de Temps—comme en suspension : “le manque de” quelque chose nous tient, fabriquant en nous “le désir de” quelque chose—qui impulse précisément et nécessairement l’Espace et le Temps suivants. S’installe alors une “précarité générative”. ...

C’est ici que l’affection—et plus globalement “le coeur”,
deviennent le liant, créent la modalité intégrative en 2nde personne : le pont spatio-temporel entre rétention (1ère pers., corps —passé) et protention (3è pers., esprit —futur).

“Si la rétention est ce qui dans un acte mental retient des phases du même acte perceptuel sur un mode différent de l’expérience du présent et dont la caractéristique est sa relation avec des impressions antérieures, faisant que la perception contient des aspects se présentant comme temporellement étendus, et que, sous réduction, la durée spécieuse engendre un espace creux permettant le déploiement de la temporalité des actes mentaux, la protention est le fait qu’un acte mental possède des liens en direction du futur, constituant donc une structure tripartite transformant un contenu intentionnel en une extension temporelle—dont Husserl donnera une représentation géométrique.” ~ voir ici.

L’Espace (substance) et le Temps (évènement) co-émergent du Coeur-même de notre 2nde personne (le “tu”)—tout à la fois samsarique (le corps-yin) ET nirvanique (l’Esprit-yang). Le “tu” de l’altérité crée les conditions “affectives” du prolongement du “je”—substance déjà manifestée, dans le “il”—évènement encore latent.
Une évidence apparaît : la substance (visible >--< Invisible) et l’Évènement (passé >--< Futur) se superposent en double duo TAO “yin / Yang”.
On peut dire alors que le YANG-Créateur (ainsi dédoublé en polarité -Invisible et -Futur), magnétise l’évolution de la Création yin-réceptrice (elle-même dédoublée en polarité -visible et -passé). Le Temps-présent étant celui de “l’expérience”—intégrative et (non)duelle dans l’entre-deux relationnel du visible et de l’Invisible.
Enfin, on peut dire encore que, dans une réciprocité d’Amour, le Yang “Invisible” (Divin) infléchit le sens de développement du yin “visible” (vivant) ; et inversement, que l’attraction exercée par le yin-vivant sur le Yang-Divin engage Celui-ci—non pas à une redéfinition informationnelle primordiale, mais à une re-formulation pré-personnelle du “sentiment de l’Ange” —lui-même “évolutif”.
Dire que le Futur nous influence revient à dire que l’Invisible nous aime (et inversement). ~ akmi

VI ] L’entre-deux “relationnel” est SUNYA

Et si nous nous lancions dans une radicalité plus exigeante encore—voire impossible à soutenir... plus d’un moment de présence.
Nous avons exposé “l’Arbre” dans son systématisme symétrique, selon ses résonances propres en écho-relationnel. Maintenant, décidons, ou essayons, de le vivre dans notre expérience—et par là-même de revenir à “nous”, et à l’éprouvé qu’on en a.
Car Francisco Varela* nous emmène dans une perception plus fine encore de la nature de “l’être au monde” : l’introuvabilité du “moi” se couple à celle de “l’autre”, et à celle du “monde” en général ; ... l’introuvabilité touche jusqu’à “l’introuvabilité” elle-même.
Comment en arrive-t-on “là” ? A cette évidence radicale de la “vacuité”, ou encore du “sans-fondement” —entendus comme un jeu permanent d’inter-relations, sans origine pré-donnée, ni finalité pré-connue —entendus comme une mise-en-scène dynamique rigoureusement “karmique”.

Par la pratique—de Samatha
(la méditation de Pleine Présence).

* Francisco Varela : chapitre : Pour une phénoménologie de la Sunyata (I) —Le Cercle Créateur (écrits 1976-2001) • La Couleur des Idées - SEUIL (2017).

1) “Moi” (sur le coussin) :

22 ans de pratique de Samatha me permettent de saisir ce dont il est question ici. Pourquoi ? Parce que c’est mon expérience : celle de l’espace—ou de l’ouverture, qui se forme entre Moi (l’expérience) et moi (les apparences). Je médite, et que se passe-t-il ? Ma pensée ne se pose plus sur rien en particulier, alors même que tout la traverse ! Alors même que les images se suivent, s’enchaînent avec ou sans lien(s) : que les images se percutent dans un jeu de construction cristal, ou bien s’amollissent dans un drôle de film liquide. Excitation ou torpeur ; cacophonie ou anéantissement ; j’ai le choix d’une autre voie : “je me vois” —au sens où j’ai conscience d’être consciente... et ce, au moment-même où je laisse “passer le film” dans ma chambre obscure personnelle —celle “muette” extérieurement et que personne ne voit.
“Je” ! Mais “je” n’existe pas, puisqu’en nul instant, je le saisis fixement. Puisqu’il change tout le temps, mouvant dans l’impénétrabilité de mes champs inconscients (eux-aussi si peu “stables”). Pourtant, pourtant, à force de pratique, s’installe en moi un “fond” très étonnant—capable de tout accueillir... sans filtrer, ni juger, ni retenir, ni attacher, ni affecter. Mais, si dans les apparences, je bouge, et si le monde (autrui) bouge aussi avec moi, qu’en est-il du “fond” naissant à ma présence ? Ce fond incarné, c’est mon corps respirant que “je deviens” en interne —non pas mentalement reliée à lui, non, mais absorbée dans un espace et une temporalité où mon corps et mon esprit s’épousent parfaitement. Alors seulement, je fais expérience —dans la (non)consistance propre au phénomène du corps vécu : le Leib, lui-même ancré dans le Körper—corps physique, et comme traçant un pont entre mon organicité cellulaire—matérielle, et mon activité mentale—informationnelle.
Creuse et pleine à la fois—comme Sunyata. Dans l’ouverture au moment suivant—qui peut être fait d’évènements quels qu’ils soient.
Et ma Baby Prajna (ou Prajna naissante) —mon mode connaissant, observe cela : son examen introspectif me fait réaliser, avec vertige déjà, que quelque chose est là (peut-être) précisément quand rien n’est là. Mes contenus mentaux disparates (ce “rien”) se trouvent comme contenus et unifiés dans un flux de conscience plus profond, original et unique (ce peut-être “quelque chose”).
Mon devenir conscient de “cela” donne jour alors à un nouveau “vécu” (Erlebnis) —avec une texture de remplissement autant que de fluidité, de plénitude en même temps que de dépeuplement : juste l’espace-temps de “là”, juste là et maintenant—où tout bouge justement. “Je” me situe autant dans “moi” que dans ce qui se trouve autour de moi : il y a extension de ma présence, alors que ma tonalité affective, elle, “respire”—fraîche, elle découvre ; neutre, elle enveloppe ; détendue, elle ose : il y a “délivrance existentielle”, nous dit Francisco Varela. L’expérience possède un horizon “ouvert” !

2) “L’autre”, le monde et les phénomènes :

De cette conscience, une intuition plus stable s’installe en moi—au sein de tout ce qui m’est le plus quotidien. Et si, dans mon mode d’être et d’agir, je me trouve encore sur le chemin d’une “spatialité alerte” (comme dans Vipassana), à ce stade, je sais néanmoins déjà que Sunyata est aussi présente dans tous les phénomènes (et qu’il faut vivre “bien” avec cela !).

Car l’une des intuitions les plus révolutionnaires du Bouddha est :
  • que tout ce qui se manifeste le fait au sein d’un réseau de causes et de conditions procédant d’autres évènements et qu’il y a toujours un évènement originaire co-dépendant ;
  • qu’il n’y a pas un évènement qui ne soit doté d’une temporalité finie au terme de laquelle il disparaît, qui ne soit affecté par d’autres évènements et qui ne puisse être rapporté à des états et à des conditions antérieurs du monde qui permettent sa manifestation.
Le point auquel il s’agit de parvenir dans la pratique consiste à accéder à cette évidence que notre propre soi doit aussi être inclus dans le réseau de causalité qu’un examen du monde a pu nous manifester, et donc à une vision de l’être étendu comme une suite indéfinie de liens et de conditions sans bord, ni fin. Le champ de l’interdépendance causale n’a aucune origine simple, ni aucun point de référence. Le monde, dépourvu d’identité, est Sunya.

Je pratique alors ce sentiment d’impermanence au sein de l’intersubjectivité elle-même —sans cesse renouvelée. Tout “se meut”.

3) Le soubassement-même de “tout ça” :

Progressivement, j’approfondis toujours davantage cette conversion à l’introuvabilité, et l’applique cette fois à l’expérience elle-même —ce “fond spacieux” qui embrasse la totalité des apparences, sans que ne s’opère plus de distinction de principe entre l’intérieur et l’extérieur. Car l’analyse de fond de l’expérience n’est pas, en soi, située en dehors du fait d’en faire l’expérience, et se trouve ainsi soumise aux limites mêmes qu’elle rencontre.
Ainsi, le fond pré-personnel de ma conscience (alaya) est-il, lui aussi, “anonyme” : au sens d’être une structure complexe émergente—à partir des composants que sont les apparences changeantes de mon expérience :
Former une “identité” (l’expérience) qui soit auto-apparaissante et auto-constituante, et en même temps inséparable d’un monde d’apparences, est un paradoxe redoutable. On trouve une élucidation à ce paradoxe apparent dans la notion de structure complexe ou émergente, d’auto-organisation ou de causalité non-linéaire —où un réseau de composants liés entre eux de façon active peut donner le jour à une identité d’un ordre supérieur, qui s’avère distincte, à titre de niveau d’apparaître, de ses composants, et n’est pourtant pas séparable d’eux.
On a alors un mode d’identité qui possède un niveau où l’accord collectif entre les composants rend possible une identité transitoire qui permet une interaction avec d’autres évènements. Une émergence en rien localisée ou encore résiduelle, car seul le rassemblement des composants permet à l’identité de naître.
Aussi ces structures émergentes possèdent-elles un mode particulier d’identité : un mixe d’existence (comme interaction) et d’inexistence (comme substance).
Les “tendances habituelles” sont des différenciations conditionnées, et il en va de même de leur “source” fondamentale. Le fond de l’expérience se situe également au-delà de la dualité de l’existence et de la non-existence et est marqué du sceau de Sunya. Le mode d’apparaître d’alaya change sans cesse —instable et dépendant du bourdonnement d’un réseau de causalité à la base de sa manifestation.

4) “La relation” —un empirisme transcendantal :

Il sera question ici de phénoménologie et d’ontologie, liées à l’émergence expérientielle —qui est “relationnelle” (entre le corps et l’esprit et en enaction avec l’environnement).
Sunya, fondamentalement —dans son mouvement ascendant et descendant, est “relation” (entre des niveaux).
Nous venons juste de voir que, radicalement, Sunya implique des structures complexes émergentes—dont les “composants de base” coopèrent pour former une “identité” d’un ordre supérieur—existante comme actrice-de-l’interaction, mais inexistante comme substance-propre. Il y a donc “relation” entre des composants—qui a eu tous font émergence au sein de l’apparition ou de la constitution d’une identité différente et supérieure. On reconnaît alors les interactions ascendantes (upward ou bottom-up) qui, depuis les composants, modélisent la qualité de cette identité ; et les interactions descendantes (downward ou top-down) qui, depuis l’identité, affectent les composants —comme en effet feed-back. Toute relation à un même niveau d’interaction phénoménologique donne naissance à une identité d’un niveau supérieur—dans une expression d’un autre ordre (graduellement de plus en plus ontologique). C’est là que réside le fossé d’explicitation (ou explanatory gap) : celui, par exemple, liant, dans les deux sens, les réseaux organiques de la matière neuronale émergente à la production même de la pensée. C’est dans cet espace, lui aussi fait de “relations” bilatérales, que réside “la vacuité” —Sunyata.
Dans le cas de l’expérience, que nous avons précédemment approché, le flux des apparences—qui interagissent entre elles, conduit au flux de fond de l’alaya émergent. Les apparences appartiennent à l’univers phénoménologique changeant ; tandis que l’alaya émergent se rapproche de l’ontologie invariante. Quand on couple la co-existence ou même la co-dépendance des deux (la relation entre les deux donc), on obtient, philosophiquement et spirituellement, une pragmatique touchant l’Essence, ou un empirisme mu en Transcendance.
  • Au sein de l’Arbre, la “relation” entre la matière et l’information (le réel et le Possible) est précisément de cet ordre. L’espace clivant entre les deux exprimant non seulement leur différence apparente de nature, mais aussi l’émergence auto-organisée de l’une (la matière) concomitante avec la manifestation de l’autre (l’Information)—et inversement (dans les deux sens—avec une prévalence de l’Information sur la matière).
  • Au sein de l’Arbre, l’actuel—qui fait pointer l’évènement au coeur de la substance de l’axe réel-possible, synchronise une série de micro-temporalités subjectives “apparentes” en “un fond expérientiel” émergent dans la nouvelle dimension du virtuel (le virtuel rétro-agissant sur l’éprouvé des différentes micro-temporalités, potentiellement diversement ré-incarnées, et donc, sur la nature même de l’expérience vécue).
Nous nous trouvons ici, et ce, de façon récurrente, face à deux niveaux d’existentialité —lesquels s’épousent et se font naître mutuellement :
  • une réalité de composants “de base” : organiques pour la matière, expérientiels pour la temporalité ; dont, respectivement, l’organisation et la synchronisation font émergence en réalités d’un ordre second (supérieur au premier) : informationnelle pour la matière, chaosmique pour la temporalité (avec rétro-effet de l’une à l’autre) ;
  • une “nouvelle” réalité —émergente (interagissante, mais non-substantielle en elle-même) : l’information—co-existante avec l’amorisation croissante de la matière ; le chaosmos—co-dépendant d’une strate temporelle en permanence re-synchronisée dans l’expérience vécue, en vue d’un approfondissement de la nature du sens devenu “incarné” ;
La première des réalités dédoublées est empirique ; la seconde transcendantale. Les deux se co-déterminent au sein de leur duo propre en une inséparabilité non-duelle —et remplissante (plus qu’évidante) : celle de Sunya. Ces “relations”—fondamentales au coeur de la description faite par l’Arbre, sont Sunya.

akmi (3-18 mai ‘19)

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